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L’amour avec un petit a : faut-il être passionné.e pour aimer ?

Caroline B.

12 min de lecture

Publié le 11/11/2025

Mis à jour le 12/01/2025

Au cœur de mon expertise et de mon travail, l’amour — et la manière dont on le ressent — occupe nécessairement une place de choix.

Parmi les nombreuses personnes que je reçois, certaines s’interrogent non pas sur leur capacité à susciter de l’amour chez l’autre, mais plutôt sur leur aptitude à ressentir ce qu’elles estiment être la clé d’un amour véritable et durable : la fameuse « petite étincelle ».

« Je me sens attachée mais pas amoureuse », « je ne ressens pas la petite étincelle », « je n’ai pas eu de coup de cœur » : autant de formulations qui traduisent l’idée que, pour beaucoup, l’amour doit naître d’une connexion émotionnelle intense et immédiate.

C’est aussi le constat de Jean-Claude Bologne, qui écrit que « dans le storytelling du couple, l’amour immédiat est fortement valorisé ». Dans notre imaginaire collectif, le coup de foudre représente un idéal romantique où tout se jouerait dès la première rencontre, sans que l’on puisse intervenir : libres de toute incertitude, nous nous laissons guider par la main infaillible du destin dans un moment magique et inattendu. Le coup de foudre devient alors le premier signe « objectif » du grand amour, puisqu’il donne l’impression d’être prêt à tout risquer pour quelqu’un que l’on ne connaît pourtant pas. Lorsqu’il est réciproque et qu’il débouche sur une histoire durable, on observe d’ailleurs qu’il s’accompagne, du moins au début, d’une vie affective et sexuelle souvent jugée plus satisfaisante car plus passionnée.

Si une relation durable peut naître d’un coup de foudre, il faut néanmoins relativiser l’importance de cette émotion dans la construction d’un couple stable.

Selon une enquête de l’Ined réalisée en 1984, un peu moins de 13 % des Français attribuent leur rencontre à un coup de foudre. La sociologue Emmanuelle Santelli relève, elle aussi, que la passion est rarement évoquée par les couples interrogés. Lorsqu’elle l’est, elle apparaît surtout au début de la relation et s’essouffle progressivement à mesure que le lien se consolide.

Pour l’historien Jean-Claude Bologne, le coup de foudre reste toutefois significatif : « 75 % des Français affirment s’être rencontrés fortuitement, et dans la moitié des cas, la rencontre s’est faite sur un “déclic” (52 % chez les hommes, 47 % chez les femmes) ».

Plusieurs enquêtes montrent que ce fameux déclic correspond bien souvent à une forte attirance physique perçue dès la première rencontre, servant de base initiale à l’éventuel développement d’un sentiment amoureux. En 2015, une équipe de chercheurs allemands a mené une vaste étude auprès de 396 participants (62 % de femmes, âge moyen : 24 ans). Les volontaires devaient remplir un questionnaire sur leur partenaire actuel (s’ils en avaient un), puis participer à des rencontres réelles ou simulées afin d’évaluer la personne rencontrée. Dans la majorité des cas, l’attraction physique était le facteur le plus régulièrement associé au coup de foudre.

Chez les personnes que je rencontre, je constate la même chose : le déclic amoureux passe souvent par des critères physiques et par la capacité de l’autre à susciter l’émotion en se montrant insaisissable et mystérieux.

Mais, contrairement à l’image idéalisée, le coup de foudre n’est pas forcément réciproque. Il peut même conduire, chez certaines personnes, à de véritables désillusions amoureuses, parfois aussi douloureuses qu’une rupture. Loin de l’image romancée véhiculée par Disney, il peut aussi se transformer en expérience amère.

On ne va pas se mentir : l’apparence physique occupe une place importante dans nos vies affectives, et il serait illusoire de la nier. Plutôt que de rejeter ce critère, je crois néanmoins qu’il serait bénéfique d’apprendre à le relativiser et à dépasser notre rêve, parfois contraignant, du coup de foudre.

De mon expérience, le coup de foudre représente souvent, pour beaucoup, un préambule jugé nécessaire à toute relation amoureuse, une sorte d’« acompte » émotionnel censé garantir une histoire réussie. Après tout, comment ne pas faire confiance à ce qui, en théorie, ne trompe jamais : notre instinct ?

Mais posons-nous la question : qu’est-ce qu’un coup de foudre nous apprend vraiment sur la personne rencontrée ?
Nous renseigne-t-il sur sa vision du couple, sa maturité émotionnelle, son caractère ou sa capacité à s’engager ?

Est-ce la promesse d’une intimité respectueuse et d’une volonté partagée d’accompagner l’autre sans jamais étouffer son individualité ?

Il me semble important de ne pas sous-estimer notre tendance à projeter nos propres désirs sur une personne que l’on connaît à peine, et de relativiser la supposée toute-puissance de l’instinct. Cela ne signifie pas qu’il faille opposer l’amour immédiat à celui qui se construit avec le temps. Les deux impliquent les mêmes risques : se tromper et devoir, à nouveau, tout reconstruire.

Entre le coup de foudre et l’amour sage, je ne prends pas parti. Mais je crois qu’il faut se souvenir qu’une histoire d’amour, réussie ou non, commence toujours par une rencontre et un échange. Toutes les rencontres extraordinaires n’aboutissent pas à une histoire merveilleuse, et toutes les histoires merveilleuses ne débutent pas comme un conte de fées. Entre les deux, il y a des déceptions, des moments drôles, des souvenirs marquants et des surprises heureuses qui valent la peine d’être vécues.

Dans leur livre Le coup de foudre amoureux, Marie-Noëlle Schurmans et Loraine Dominical rappellent très justement qu’il est aussi bon de laisser une part d’ambiguïté : « Il y a des pans du social qui exigent le mystère, des zones de bruit, de rêve, de flou dont la caractéristique n’est pas d’être entachée d’ignorance mais bien d’être située aux marges de l’ordre ».

Sources

1 Jean Claude Bologne, Le modèle historique du coup de foudre dans la constitution du couple, Le Divan familial, 2018.

2 Michel Bozon et François Heran, France – La formation des couples (1983-1984), Rapport de l’INED IE0164, Mars 2022.

3 Emmanuelle Santelli, L’amour conjugal, ou parvenir à se réaliser dans le couple : Réflexions théoriques sur l’amour et typologie de couples, Recherches familiales, 2018.

4 Florian Zsok, Matthias Haucke, Cornelia de Wit et Dick Barelds, What kind of love is love at first sight? An empirical investigation, Personal Relationships, 2017.

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